La Coupole de l’Astronome
Narration du film diffusé dans la coupole de l’astronome :
Tout le monde m’appelle la nuit mais lorsqu’il s’agit de me définir je deviens insaisissable. Quand le jour s’achève, j’entends souvent dire « la nuit tombe ». Bien au contraire, je m’élève vers le ciel et les étoiles. On me définit comme une absence, celle de lumière. Ne suis-je pas à l’inverse, une présence ? Celle de la Terre qui projette son ombre vers l’Univers ? Me voici : cette petite lentille d’obscurité poinçonnée par les courbes du Monde. Pour le Terrien, je ne dure pas car il est entraîné par le manège du globe. Mais… Bien qu’éphémère, je pèse sur lui tel un milieu naturel dans lequel il ne peut vivre sans artifice : l’homme a besoin de sa lumière pour me conquérir. Depuis tout temps, il me repousse à grand renfort d’éclairages pour créer un jour sans fin. L’homme a agrandi ses journées, mais rétréci le Monde auquel je lui permets d’accéder. Je dilue les frontières de son atmosphère. Je transforme le bleu éblouissant du ciel en un voile limpide qui laisse les lumières des étoiles atteindre l’œil de l’observateur.
Voici donc qui je suis : votre fenêtre sur l’Univers. Je vois que les Terriens t’ont enfermée dans des images négatives ! Pour moi, il en est tout autrement. Cosmos, mon nom, vient du grec. Il signifie « Ornement ». Il renvoie à la beauté de la voûte étoilée telle la couronne de la Terre. Je suis une représentation de la beauté de l’Univers et de son organisation. On m’a prêté de nombreux visages. On me donnait les traits d’un plafond parsemé d’astres. Aujourd’hui, je suis un espace-temps infini où la matière s’organise depuis 14 milliards d’années. Des instruments de plus en plus puissants sont venus renforcer la pensée et l’imagination qui travaillent à écrire mon histoire. Et vous, terriens, faites partie de cette histoire !
Fermez les yeux. Respirez. Laissez votre esprit formuler la plus exceptionnelle des idées : « je suis un être vivant ». Ce que vous venez de faire est le résultat de 14 milliards d’années d’organisation de la matière. Lorsque l’Univers apparaît, il est un chaos de particules élémentaires. Millions d’années après millions d’années, ces particules vont former des systèmes complexes qui, à leur tour, se regroupent pour former des systèmes plus évolués encore ! Ici et là, des grumeaux de matières se forment. En leur sein, la matière se condense pour donner naissance aux étoiles qui formeront les noyaux de nos atomes familiers. Tous ces noyaux sont nécessaires pour que les molécules de votre corps existent. La matière a ainsi atteint une organisation d’une complexité époustouflante ! Lorsque vous produisez cette pensée « je suis », « j’existe », vous concrétisez le fait que la matière cosmique est passée du chaos à un état de conscience d’elle-même.
Chers Terriens, pour construire cette histoire de l’Univers, vous avez eu recours à la plus audacieuse démarche : l’observation. Dès l’instant où le regard de l’homme s’est posé sur les étoiles, il s’est mis à bâtir un édifice dont la construction ne cessera jamais : une vision organisée de l’Univers. C’est l’essence même de l’observation : l’intention dans le regard ! À travers les âges, cette intention a évolué. De l’aube de l’humanité aux premières civilisations agricoles, l’observation chemine entre une conception mythique des cieux et l’indispensable mesure du temps. Face au vertige d’un monde hors de portée, l’Homme cherche des repères. Ses observations viennent construire et déconstruire ses conceptions de l’Univers. Jusqu’au XVIIème siècle, croyances et connaissances étaient indissociables. La vérité était d’ordre divin et ne pouvait supporter d’être bousculée. Puis en 1609, un geste simple est venu semer les germes d’une révolution. Galilée regarde le ciel à travers un instrument tout juste inventé : la lunette. Il découvre ce que l’œil seul n’avait jamais révélé : des reliefs sur la Lune, des satellites autour de Jupiter… Ces observations allaient nourrir de nouvelles idées et appuyer des thèses inacceptables à l’époque, telle que la place du Soleil au centre d’un système planétaire. L’observation s’éloigne de la croyance pour tendre vers la construction d’une connaissance scientifique : toute théorie doit être vérifiée ou contredite par l’observation. Dès lors, l’instrument astronomique va occuper une place centrale et ne cessera de bousculer notre regard sur le Monde !
Maintenant, levez-les yeux ! Cette pièce étrange qui s’illumine est un observatoire astronomique ! Celui-ci a été conçu pour révéler ce qui se trame sous ces dômes blancs qu’on appelle « COUPOLES ». Chaque élément installé sous cette coupole : la lunette, le télescope, les appareils d’imagerie… est une évolution d’inventions apparues entre le XVIIème et le XIXème siècle. Ces inventions sont le fruit d’une quête perpétuelle : capter des lumières de plus en plus ténues et déceler des détails toujours plus infimes dans le ciel. Vers la fin du XVIIème siècle, la LUNETTE est déjà utilisée dans les premiers observatoires astronomiques. Son principe est celui de la RÉFRACTION : la lumière traverse une lentille de verre qui la concentre en un point et permet le grossissement de l’image. Cette distance entre la lentille et ce point s’appelle la « focale ». Pour compenser la médiocre qualité des lentilles de l’époque, on allongeait leur focale, amenant à d’audacieux procédés comme la lunette d’Hevelius mesurant plus de 40 mètres !
Parallèlement à l’effort d’amélioration des lunettes, Isaac Newton, réalise en 1671 l’idée d’un nouvel instrument basé sur un principe optique différent : le TÉLESCOPE. Il ne s’agit plus d’utiliser la réfraction mais la RÉFLEXION. Le télescope est constitué D’UN MIROIR CONCAVE EN BRONZE placé au fond d’un tube. Il renvoie l’image du ciel sous la forme d’un faisceau convergent, récupéré à la sortie du tube par un miroir oblique. Cette image est ensuite amplifiée par une loupe, appelée « oculaire ». Nous avons ici un télescope dit Casse-grain qui permet de replier la focale sur elle-même. À partir de 1840, des innovations vont bouleverser le monde des astronomes. Pour la première fois, l’image de la Lune est fixée sur une plaque sensible grâce à un procédé inventé l’année précédente : LA PHOTOGRAPHIE ! Trois décennies plus tard, les progrès de cette invention révèlent les faibles lueurs d’objets à peine effleurées par l’œil. La chasse aux photons est lancée ! La photographie pousse les astronomes à augmenter les dimensions de leurs collecteurs de lumière. Les lunettes sont dépassées par le télescope, elles ne répondent plus aux exigences de la photographie. En 1857, le miroir métallique du télescope est remplacé par UN MIROIR DE VERRE ARGENTÉ. Il permet d’augmenter plus facilement son diamètre et améliore ses performances. C’est le coup d’envoi des télescopes géants ! Pour explorer le potentiel de ces innovations, il faut changer la manière de concevoir les observatoires. De telles merveilles technologiques doivent être protégées.
Au XIXème siècle, les astronomes reprennent une figure architecturale bien connue afin de préserver leurs instruments : LA COUPOLE. Ils ouvrent dans ces dômes une fenêtre céleste protégée par un volet qu’on appelle le « cimier ». Le cimier est ouvert avant l’observation pour mettre en température l’intérieur de la coupole. S’il fait froid dehors, il doit faire froid dedans ! Ici au Pic, leurs formes aérodynamiques les protègent des vents violents et de la neige. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, on construisait les observatoires aux abords des grandes villes. Mais le Monde change rapidement : l’éclairage public, l’étalement des villes et leur pollution limitent les possibilités des astronomes. Alors que faire, lorsque les portes du ciel se ferment au moment où l’on trouve de quoi l’explorer comme jamais auparavant ?
En 1856, on découvre qu’en haute altitude, l’atmosphère plus ténue et moins polluée permet d’observer les astres avec une précision inégalée. L’avenir de l’astronomie se précise, il doit prendre de la hauteur ! Mais où seront les visionnaires suffisamment téméraires pour installer des observatoires en des lieux où l’Homme n’ose poser les pieds ? Dès 1880, les Américains se lancent à l’assaut de montagnes accueillantes et y bâtissent les plus grands observatoires du Monde. Les Français se risquent à des solutions plus incertaines : les cimes du Mont Blanc et du Pic du Midi de Bigorre. La colonisation scientifique du toit de l’Europe dure dix ans. Mais la montagne finira par engloutir la station dans laquelle furent révélées les meilleures images du Soleil de l’époque.
À partir de 1878, Nansouty et Vaussenat résistent à l’hostilité du Pic et y bâtissent la première station scientifique de haute montagne au monde ! Les instruments installés révèlent d’excellentes conditions d’observation. Vaussenat aménagera ainsi le sommet jusqu’à sa mort espérant y voir s’élever des coupoles. À l’aube du XXème siècle, Benjamin Baillaud donne vie à ce projet fou. En 1908, après deux années d’ascension du matériel, la première coupole du Pic est enfin achevée ! Imaginez l’émotion lorsque les portes de ce dôme, perché à près de 3 000 mètres d’altitude s’ouvrirent sur le ciel. La qualité de la lumière qui entrait, ce jour-là sur la coupole, était inégalée. Durant les quatre décennies qui suivirent, les astronomes du Pic y réalisèrent les plus belles photographies des planètes de notre système solaire. Et Bernard Lyot y inventait le CORONOGRAPHE.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’observatoire déploie tout son potentiel astronomique et le sommet prend peu à peu sa forme de citadelle céleste, couronnée de coupoles. Sous ces dômes, les progrès technologiques se succèdent et transforment les pratiques. L’œil humain ne se pose plus sur l’oculaire et l’appareil photographique est devenu électronique. Un capteur hypersensible accumule les photons pour générer des milliards de données révélant l’univers sous un jour nouveau. Ici même, trois caméras sont installées pour réaliser des images du Soleil, des planètes et d’objets infiniment plus lointains comme les nébuleuses et les galaxies. Le temps est venu de faire fonctionner cette machine complexe.
Notre cible, le Soleil, n’est actuellement pas visible. Mais nos instruments vont fonctionner comme s’il l’était pour vous simuler une véritable prise de vue astronomique. L’instrument qui est utilisé pour cette observation est une lunette qui permet d’observer l’atmosphère du Soleil, là où se produisent les éruptions solaires. Ça y est ! Notre instrument suit le Soleil. Par beau temps, la caméra se met à enregistrer les données. C’est la phase d’acquisition. L’image est prête. Une fois l’acquisition terminée, les données sont compilées et traitées pour donner ceci. Ce disque à l’écran mesure près d’un million et demi de kilomètres de diamètre. En comparaison, notre planète aurait la taille d’une tête d’épingle sur cette image. Sa surface granuleuse est le résultat de l’intense bouillonnement de la matière chauffée, à plusieurs millions de degrés, au cœur de l’étoile. Par endroit, il est possible de voir des tâches. Elles sont le témoin d’un intense champ magnétique local qui refroidit la surface et en diminue donc la luminosité. Les filaments visibles sur le disque sont les éruptions solaires. Les plus importantes s’élèvent à 500 000 kilomètres d’altitude. Au Pic, des astronomes sont à l’œuvre quotidiennement pour produire des clichés qui enrichissent notre connaissance du Soleil.
Alors, que cachent les coupoles nous direz-vous ? Tout simplement, les folles inventions d’observateurs curieux qui ont conquis des montagnes pour atteindre les étoiles.